Vaste campagne antidrogue en Thaïlande : 7 tonnes de stupéphiants brûlées.

                                ( Le Monde)

 

Mercredi 12 février 2003
(LE MONDE)

Bangkok de notre correspondant

Cent quarante-quatre suspects tués, 9 200 arrestations, dont 30 producteurs et plus de 300 marchands : tel est le bilan officiel des premiers dix jours d'une campagne de trois mois contre la drogue lancée le 1er février par Thaksin Shinawatra, un premier ministre énergique et qui, contrairement au tempérament prêté aux Thaïlandais, préfère attaquer de front les difficultés plutôt que de les circonvenir.

La campagne est populaire. Un sondage publié début février est tranché : 84,2 % des gens interrogés approuvent la croisade, 4,3 % sont contre et 11,5 % n'expriment pas d'opinion. Les Thaïlandais, y compris en secteur rural, en ont assez de voir le ya ba – "médicament qui rend fou", ainsi qu'on appelle ici les amphétamines ou métamphétamines – envahir leurs lycées et gagner leurs écoles primaires. La jeunesse est particulièrement vulnérable, ce qui est le cas également au Cambodge ou en Indonésie. Mercredi 12 février, en présence de responsables du gouvernement et de la presse, des millions de ces pilules saisies ont été détruites. Le royaume, dont la population est à peu près l'équivalent de celle de la France, compterait 2,7 millions de consommateurs irréguliers de drogues, dont ! plus de 80 % sont des amateurs de ya ba, fabriqué en Birmanie ou sur la frontière birmane. La Thaïlande n'est pas seulement un point de transit vers l'Ouest ou d'autres pays de la région. Elle est devenue un véritable marché.

RISQUE D'EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

L'enjeu financier est considérable. A titre d'exemple, les 7 tonnes de drogue brûlées mercredi représentaient 80 millions d'euros. Les réseaux de la drogue bénéficient de nombreuses complicités. "On peut se demander si de "gros poissons" ont été déjà pris dans les filets de cette campagne. Il semble que tous ceux qui ont été tués jusqu'ici sont de petits revendeurs", commentait, mardi 11 février, The Nation, quotidien anglophone de Bangkok.

L'opposition parlementaire a, de son côté, émis des réserves sur le risque d'exécutions extrajudiciaires présentées comme des mesures "préventives". "Seule une cour peut ordonner une exécution. Tirer sur quelqu'un parce qu'il est suspect de vendre de la drogue ou d'être associé à des trafiquants créera des problèmes. Nous pourrions être accusés de violation des droits de l'homme, et la communauté internationale pourrait nous boycotter", a déclaré Chuan Leekpai, président du Parti démocrate et chef d'une opposition peu influente.

Une "mission impossible", a estimé, dès janvier, le Bangkok Post, si les "gros poissons" mentionnés plus haut demeurent intouchables. Quoi qu'il en soit, exaspéré parce que ses enfants sont devenus la proie facile des revendeurs de drogue, le public thaïlandais jugera l'opération à ses résultats.

Jean-Claude Pomonti

 

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