L'Asie fête le Nouvel An chinois et entre dans l'année de la chèvre

 

L'Asie chinoise a célèbré samedi son Nouvel An en regardant repue la télévision dans une Chine à la croissance insolente, en priant pour des temps meilleurs dans un Hong Kong en proie au marasme et en se mobilisant au son de chants martiaux en Corée du nord. En Chine, où l'économie a continué à galoper pendant l'année du cheval qui s'achevait, les trois-quarts de la population, 1,3 milliard de gens, a tout simplement regardé la télévision pour fêter l'entrée dans l'année de la chèvre. La chaine nationale CCTV a revendiqué 975 millions de spectateurs pour un programme spécial de quatre heures. La 21e édition de la "Soirée festive de la Fête du printemps" a alterné des chansons et des sketches qui tournaient cette année pour la plupart autour du thème de la famille et de l'amour. Les présentateurs n'ont également pas manqué de faire régulièrement référence à la grandeur de la nation chinoise. Une demi-heure avant minuit, des sachets de terre venant des 31 provinces chinoises, ainsi que Hong Kong, Macao et Taïwan, ont été versés dans un vase géant installé sur le plateau. Pour ceux qui ne regardaient pas la télévision, il fallait avoir réservé pour dîner dans les meilleurs restaurants de la ville, qui affichaient salle comble. Nombre d'entre eux proposaient des plats de viande de mouton (le terme Yang désigne tous les ovins, qu'ils soient chèvre ou mouton) et le prix des menus se terminaient souvent par le chiffre huit, synonyme de prospérité. Après les traditionnels pétards et feux d'artifice de minuit, les festivités du Nouvel An lunaire vont se poursuivre pendant une semaine. A Hong Kong, où les temps sont durs, des milliers de gens se sont rendus au célèbre temple de Wong Tai Sin, chacun voulant être le premier à offrir ses prières. "J'ai prié pour la paix dans le monde et pour que les Hongkongais puissent gagner plus d'argent", a déclaré un homme tandis que sa femme souhaitait que cessent les baisses de salaires qui frappent l'ex-colonie britannique en proie à la déflation. Signe des temps, la procession traditionnelle dans les rues du quartier de Wanchai a vu défiler 12 chars contre 22 l'an dernier. Quant à la Corée du nord, elle a organisé le genre de manifestations sportives et culturelles dont le régime stalinien a le secret, en mettant l'accent sur la mobilisation contre les Etats-Unis. Deux des spectacles étaient intitulés "chantons l'ère de la politique armée" et "le bonheur est du à la politique armée", selon l'agence officielle A Taiwan, 20.000 personnes ont fait la queue pour recevoir 200 dollars (5,76 US dollars) du président Chen Shui-bian, mais des milliers d'entre eux ont été déçus car la présidence n'avait préparé que 15.000 enveloppes. En Indonésie, la minorité chinoise a fêté le nouvel an en célébrant une petite victoire contre la discrimination dont elle reste victime: pour la première fois la journée avait été déclarée congé public. Dans la "Chinatown" de Yokohama, au Japon, des centaines de gens ont participé à un grand compte à rebours et une danse traditionnelle du lion a ouvert une série de festivités. A Hanoi, la municipalité avait organisé des feux d'artifice de minuit sur deux lacs de la capitale vietnamienne. Mais samedi matin, les rues étaient particulièrement calmes pour une journée essentiellement consacrée à la famille. Les tenues vestimentaires soignées, cravates pour les hommes, soie et maquillage pour les femmes, robes en tule blanc pour les petites filles, témoignaient du soin apporté à un moment qui devait préfigurer de l'ensemble de l'année. A Singapour, les visiteurs d'un parc ont été accueillis par un "Gong xi fa cai" (bonne année) profèré par un perroquet. "C'est incroyable", a déclaré au Straits Times une hotesse de l'air française, Severine Decouard, 28 ans.

 AFP | 01.02.03

 

Touristes chinois sous haute surveillance
Ils viennent en France pour fêter le nouvel an, mais Paris redoute les immigrants.

Libération

Par Pierre HASKI
samedi 01 février 2003

Pour la semaine de congés du nouvel an chinois qui débute aujourd'hui, l'aéroport de Pékin prend des allures de 15 août à Roissy. Des hordes de vacanciers chinois prennent d'assaut les vols, tant à destination de la province chinoise que de l'étranger. Et parmi ces destinations, Paris est la plus prisée. «Pour les Chinois, la capitale française est un rêve, et dès qu'ils en ont les moyens, c'est là qu'ils veulent se rendre», confie une professionnelle chinoise du tourisme.

Visas. Il va falloir s'y habituer, les milliers de Chinois qui débarquent à Paris ne sont pas nécessairement des immigrants, futurs sans-papiers : la classe moyenne émergente de Pékin, Shanghai ou Canton a de l'argent, et elle entend le dépenser dans les boutiques de souvenirs et les restaurants de l'Hexagone. Des milliers de touristes chinois visitent la France, chaque année plus nombreux, menaçant même de dépasser en nombre les Américains. Au point que les grands magasins ont dû embaucher du personnel sinisant pour la détaxe. Et que les restaurateurs chinois de Paris ont conclu des accords avec les agences de voyages pour drainer cette clientèle vite en mal de cuisine du pays. Il faut dire que la capitale française mène une campagne active de promotion, à l'image de ce reportage très inspiré, paru récemment dans la presse chinoise, sur la gastronomie française, accompagné de l'interview d'une responsable de l'office du tourisme de Paris.

Mais ce tourisme qui ne dit pas encore son nom vient déranger les règles en vigueur et les rythmes diplomatiques. En effet, la France ne fait pas encore partie des destinations autorisées par la Chine pour ses touristes, Paris et Pékin n'ayant pas conclu d'accord ADS (autorisation de destination) qui réglemente ces voyages. Officiellement, pour la Chine, ce sont donc des délégations ou des voyages d'affaires, mais leurs visas sont bel et bien des visas de tourisme négociés par des agences professionnelles (dont la seule restriction est l'interdiction de promotion). Elles opèrent dans l'immense zone grise du droit chinois.

Or, tout ceci risque d'être prochainement bousculé avec l'entrée en vigueur, le 15 février, du premier accord ADS entre la Chine et un membre de l'Union européenne, en l'occurrence l'Allemagne. Celle-ci a pris de vitesse une Europe incapable de s'entendre sur un mandat de négociation et obtenu, à son profit, un accord avec la Chine ­ décrochant au passage un doublement des vols de la Luft-hansa à la barbe de ses concurrents comme Air France. Le problème est qu'un Chinois entré en Allemagne peut arriver en France sans difficultés, alors que la France n'est pas partie prenante à cet accord. La «trahison» allemande a secoué les Européens qui, finalement, se sont mis d'accord pour négocier d'une seule voix avec la Chine. Mais les discussions s'annoncent difficiles, car Bruxelles exige, pour satisfaire ses Etats membres obnubilés par l'immigration clandestine, une «clause de réadmission» pour tout touriste qui aurait tenté de rester en Europe. Or, une telle clause ne figure pas dans le texte signé avec les Allemands, pas plus qu'avec la vingtaine d'autres pays avec laquelle la Chine a déjà conclu des accords ADS. Et les Chinois ne veulent pas en entendre parler.

Sélection. La France se retrouve dès lors dans la pire des situations : elle n'est pas en mesure de bénéficier pleinement de sa capacité à attirer les touristes chinois dont le point d'entrée principal en Europe sera désormais l'Allemagne, sans pour autant être en mesure de contrôler leurs mouvements, puisque la frontière est ouverte. Une situation inconfortable qui illustre la difficulté à traiter avec un pays comme la Chine, toujours terre d'émigration sauvage vers l'Europe, mais qui dispose aussi d'une population aisée que la France, comme les autres, espère bien attirer à elle.

Comment distinguer le vrai touriste du candidat à l'émigration ? C'est toute la difficulté de l'exercice. Cette responsabilité repose essentiellement sur les agences de voyages qui font la première sélection. «Un candidat au voyage provenant du Dongbei (nord-est de la Chine, socialement sinistré, ndlr) ou du Fujian (terre d'émigration traditionnelle, ndlr) se verra systématiquement refuser, même s'il peut payer», explique une professionnelle chinoise du tourisme. Dans l'accord allemand, seules quelques agences de voyages, chinoises et allemandes, ont le droit de s'occuper du tourisme chinois et sont responsables de toute «disparition». La délivrance des visas a même été partiellement sous-traitée, à Pékin, à la Chambre de commerce allemande et à des agences de voyages qui savent qu'au premier impair, elles seront placées sur «liste noire». «Elles risquent gros», souligne un diplomate européen. Ces contorsions sécuritaires ne font pas l'affaire de l'industrie du tourisme.

Soupçons. Les grands groupes, comme Accor en France, se préparent depuis des années à cette montée en puissance du tourisme chinois, dernier venu après les vagues japonaise et coréenne. Les Chinois fortunés, qui n'hésitent pas à payer près de 2 500 euros par personne pour des voyages à travers l'Europe, et se précipitent dès leur arrivée dans les magasins de marques prestigieuses, risquent fort de ne pas apprécier d'être accueillis comme des pestiférés soupçonnés des pires desseins. Le ministre de l'Intérieur français devrait consulter son collègue du Tourisme avant de prendre des décisions trop hâtives....

 

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