L'Asie fête le Nouvel An chinois et entre dans l'année de la chèvre
Touristes chinois sous haute surveillance
Libération
Par
Pierre HASKI
samedi 01 février 2003
Pour la semaine de congés du nouvel an chinois qui débute aujourd'hui, l'aéroport de Pékin prend des allures de 15 août à Roissy. Des hordes de vacanciers chinois prennent d'assaut les vols, tant à destination de la province chinoise que de l'étranger. Et parmi ces destinations, Paris est la plus prisée. «Pour les Chinois, la capitale française est un rêve, et dès qu'ils en ont les moyens, c'est là qu'ils veulent se rendre», confie une professionnelle chinoise du tourisme.
Visas. Il va falloir s'y habituer, les milliers de Chinois qui débarquent à Paris ne sont pas nécessairement des immigrants, futurs sans-papiers : la classe moyenne émergente de Pékin, Shanghai ou Canton a de l'argent, et elle entend le dépenser dans les boutiques de souvenirs et les restaurants de l'Hexagone. Des milliers de touristes chinois visitent la France, chaque année plus nombreux, menaçant même de dépasser en nombre les Américains. Au point que les grands magasins ont dû embaucher du personnel sinisant pour la détaxe. Et que les restaurateurs chinois de Paris ont conclu des accords avec les agences de voyages pour drainer cette clientèle vite en mal de cuisine du pays. Il faut dire que la capitale française mène une campagne active de promotion, à l'image de ce reportage très inspiré, paru récemment dans la presse chinoise, sur la gastronomie française, accompagné de l'interview d'une responsable de l'office du tourisme de Paris.
Mais ce tourisme qui ne dit pas encore son nom vient déranger les règles en vigueur et les rythmes diplomatiques. En effet, la France ne fait pas encore partie des destinations autorisées par la Chine pour ses touristes, Paris et Pékin n'ayant pas conclu d'accord ADS (autorisation de destination) qui réglemente ces voyages. Officiellement, pour la Chine, ce sont donc des délégations ou des voyages d'affaires, mais leurs visas sont bel et bien des visas de tourisme négociés par des agences professionnelles (dont la seule restriction est l'interdiction de promotion). Elles opèrent dans l'immense zone grise du droit chinois.
Or, tout ceci risque d'être prochainement bousculé avec l'entrée en vigueur, le 15 février, du premier accord ADS entre la Chine et un membre de l'Union européenne, en l'occurrence l'Allemagne. Celle-ci a pris de vitesse une Europe incapable de s'entendre sur un mandat de négociation et obtenu, à son profit, un accord avec la Chine décrochant au passage un doublement des vols de la Luft-hansa à la barbe de ses concurrents comme Air France. Le problème est qu'un Chinois entré en Allemagne peut arriver en France sans difficultés, alors que la France n'est pas partie prenante à cet accord. La «trahison» allemande a secoué les Européens qui, finalement, se sont mis d'accord pour négocier d'une seule voix avec la Chine. Mais les discussions s'annoncent difficiles, car Bruxelles exige, pour satisfaire ses Etats membres obnubilés par l'immigration clandestine, une «clause de réadmission» pour tout touriste qui aurait tenté de rester en Europe. Or, une telle clause ne figure pas dans le texte signé avec les Allemands, pas plus qu'avec la vingtaine d'autres pays avec laquelle la Chine a déjà conclu des accords ADS. Et les Chinois ne veulent pas en entendre parler.
Sélection. La France se retrouve dès lors dans la pire des situations : elle n'est pas en mesure de bénéficier pleinement de sa capacité à attirer les touristes chinois dont le point d'entrée principal en Europe sera désormais l'Allemagne, sans pour autant être en mesure de contrôler leurs mouvements, puisque la frontière est ouverte. Une situation inconfortable qui illustre la difficulté à traiter avec un pays comme la Chine, toujours terre d'émigration sauvage vers l'Europe, mais qui dispose aussi d'une population aisée que la France, comme les autres, espère bien attirer à elle.
Comment distinguer le vrai touriste du candidat à l'émigration ? C'est toute la difficulté de l'exercice. Cette responsabilité repose essentiellement sur les agences de voyages qui font la première sélection. «Un candidat au voyage provenant du Dongbei (nord-est de la Chine, socialement sinistré, ndlr) ou du Fujian (terre d'émigration traditionnelle, ndlr) se verra systématiquement refuser, même s'il peut payer», explique une professionnelle chinoise du tourisme. Dans l'accord allemand, seules quelques agences de voyages, chinoises et allemandes, ont le droit de s'occuper du tourisme chinois et sont responsables de toute «disparition». La délivrance des visas a même été partiellement sous-traitée, à Pékin, à la Chambre de commerce allemande et à des agences de voyages qui savent qu'au premier impair, elles seront placées sur «liste noire». «Elles risquent gros», souligne un diplomate européen. Ces contorsions sécuritaires ne font pas l'affaire de l'industrie du tourisme.
Soupçons. Les grands groupes, comme Accor
en France, se préparent depuis des années à cette montée en puissance du
tourisme chinois, dernier venu après les vagues japonaise et coréenne. Les
Chinois fortunés, qui n'hésitent pas à payer près de 2 500 euros par
personne pour des voyages à travers l'Europe, et se précipitent dès leur
arrivée dans les magasins de marques prestigieuses, risquent fort de ne pas
apprécier d'être accueillis comme des pestiférés soupçonnés des pires
desseins. Le ministre de l'Intérieur français devrait consulter son collègue
du Tourisme avant de prendre des décisions trop hâtives....