DANS LE SUD ISLAMISE DE LA THAÏLANDE, LE POUVOIR FAIT FACE A UNE MULTIPLICATION DES VIOLENCES

(Le Monde, 29 / 03 / 04)

La piste du terrorisme islamiste n'est pas la seule évoquée.

Pattani (sud de la Thaïlande) de notre envoyé spécial

Dans les jardins de la mosquée centrale de Pattani, chef-lieu d'une province du sud profond de la Thaïlande, des jeunes filles étudient le Coran, à l'ombre d'arbres, tout en papotant. Elles portent le voile et de longues robes. Souriantes, elles acceptent de se faire photographier en jouant les timides.

A deux pas, des jeunes gens plus décontractés ne veulent pas que l'étranger les photographie. "C'est trop dangereux", dit l'un d'eux. D'un geste de la main, un autre signifie, en riant, qu'on peut lui couper la gorge.

A Hat Yai, un peu plus au nord, hôtels et lieux de plaisir attendent la foule débridée qui débarque le week-end de Malaisie et de Singapour. Sur la belle route qui relie Hat Yai à la frontière malaisienne, les contrôles sont rares et ceux qui en ont la charge, soldats et policiers, laissent filer les véhicules sans les fouiller.

La route se glisse entre des plantations d'hévéas et longe parfois des kilomètres de plages aussi attrayantes que vides. Le caoutchouc et la pêche sont les deux ressources de ce Sud éloigné des centres touristiques - le plus proche, l'île de Phuket, est à 300 km -, et où vit la grande majorité des quelque 5 millions de musulmans thaïlandais.

Mais les apparences peuvent être trompeuses. Alors que les jeunes de Pattani s'exerçaient à la lecture du Coran, des gens préparaient les incendies, le soir même, d'une quarantaine de structures, en majorité des guérites de police et des abris déserts pour planteurs. Le 16 mars, soit trois jours auparavant, 3 000 policiers et des hélicoptères avaient été déployés pour assurer la protection d'un conseil des ministres réuni à Pattani et qui a décidé l'octroi à l'extrême sud islamisé du royaume d'une enveloppe de 250 millions d'euros sur deux ans, dont les trois quarts affectés à des projets de développement.

Cette zone n'est peut-être pas à feu et à sang, mais ce qui s'y passe depuis le début de l'année est pour le moins troublant. Et le trouble a encore grandi avec l'attentat du 27 mars à Sungai Kolok, près de la frontière malaisienne.

Tout a commencé le 4 janvier, quand un groupe organisé a dévalisé un dépôt d'armes légères, tuant au passage quatre gardes. Simultanément, le feu a été mis à une vingtaine d'écoles publiques. Cette opération coordonnée a provoqué un choc, même dans ces anciens sultanats où des mouvements séparatistes se sont encore manifestés dans les années 1970-1980.

Le gouvernement a réagi en décrétant la loi martiale. Une valse de généraux, de l'armée comme de la police, et de ministres a suivi. Désorganisés depuis plus de trois ans, quand la police y avait pris la relève de l'armée, les services de renseignement ont été ressoudés.

Parmi la soixantaine de victimes recensées depuis janvier figurent non seulement des membres des forces de l'ordre mais aussi quelques bonzes et des enseignants. Un député de l'opposition a affirmé, le 25 mars, que 103 personnes étaient portées disparues, parmi lesquelles un avocat musulman qui défendait des militants islamistes et qui avait accusé la police de recourir à la torture. Le Bangkok Post a publié, le 28 mars, des témoignages faisant état d'arrestations sans mandat d'arrêt et de mauvais traitements infligés à des suspects.

ÉCOLES CORANIQUES

La piste du terrorisme islamiste serait-elle la bonne ? Après tout, c'est dans le centre de la Thaïlande qu'a été capturé, en août, l'Indonésien Hambali, principal animateur d'un réseau terroriste régional. D'autres arrestations de suspects ont eu lieu dans le sud du royaume. Après avoir blâmé des "bandits", les autorités ont soupçonné les quelque 300 écoles coraniques du Sud d'abriter des terroristes, et certaines ont fait l'objet de fouilles. La crise a ensuite pris une nouvelle tournure avec des mandats d'arrêt lancés le 25 mars contre un député de Narathiwat, membre du parti au pouvoir, et huit autres individus, soupçonnés d'avoir trempé dans les attaques du 4 janvier. Les neuf, ainsi qu'un sénateur et un autre député - mais ces deux derniers ne font pas l'objet de mandats d'arrêt -, ont été dénoncés par un agent électoral placé sous les verrous et qui semble lié à la mafia d'une région où les contrebandes sont florissantes.

Le gouvernement s'est donné trois ans pour y rétablir l'ordre. Quant au plan de développement annoncé, son succès dépendra de la volonté d'en faire bénéficier les populations locales et non des industriels venus d'ailleurs.

Jean-Claude Pomonti

Un premier attentat contre des touristes

Une bombe a fait 28 blessés, samedi soir 27 mars, dans la ville touristique de Sungai Kolok, à la frontière avec la Malaisie. Le premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, qui devait partir lundi vers l'Allemagne et la Hongrie, a annulé son voyage et a tenu dimanche une réunion de crise avec des responsables ministériels et militaires. Le porte-parole du gouvernement, Jakrapob Penkair, a déclaré que l'attentat montre que les poseurs de bombe "ont changé de stratégie". Rien n'indique que des groupes étrangers soient derrière l'attentat, a-t-il ajouté.

C'est la première fois qu'un lieu touristique était visé depuis le début des violences, en janvier, dans le sud du pays. Avec ses boîtes de nuit et ses maisons closes, Sungai Kolok est particulièrement fréquenté par des touristes malaisiens. Trois des victimes sont des Malaisiens.

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