Cris d'alarme face à la percée du virus du sida en Asie

(Le monde, 19 / 08 / 03)

Sept millions de personnes sont actuellement porteuses du virus du sida en Asie orientale, dont un million en Chine. Ce chiffre pourrait atteindre 40 millions d'ici à 2010 si des politiques de prévention ne sont pas mises en oeuvre, selon l'Organisation mondiale de la santé.

Un responsable de la santé de la province chinoise du Henan (nord), ravagée par le sida, aurait été arrêté pour avoir révélé des secrets sur le scandale du sang contaminé dans cette province, a affirmé, mardi 19 août, une organisation chinoise de défense des victimes du sida.

Selon des responsables de la santé du Henan, Ma Shiwen a été arrêté il y a quelques jours, accusé d'avoir divulgué des secrets d'Etat", a déclaré Wan Yanhai, fondateur d'une organisation non gouvernementale (ONG) de lutte contre le sida. "Il est possible que ces secrets soient les documents que nous nous étions procurés l'an passé et qui révélaient l'ampleur du désastre dans la province", a ajouté au téléphone le militant du Aizhi Action Group, depuis les Etats-Unis où il est parti étudier après avoir été incarcéré plusieurs mois l'an passé. 

Un employé du centre de contrôle des maladies de la province, dont Ma Shiwen est vice-directeur, a confirmé la disparition de son collègue. "D'après ce que je sais, Ma Shiwen n'a pas été officiellement limogé, mais il a disparu", a indiqué cet homme parlant sous le couvert de l'anonymat. Joints au téléphone, plusieurs responsables de la santé dans le Henan ont refusé de commenter cette affaire.

Pékin a reconnu, en 2001, le scandale du sang contaminé dans la province du Henan, dont les autorités ont collecté, de 1985 à 1995 environ, le sang des paysans contre rémunération en prélevant le plasma et en réinjectant le reste après l'avoir mélangé à celui d'autres donneurs. Le Henan compte aujourd'hui des centaines de milliers, voire un million de séropositifs.

"UN MILLIARD DE PRÉSERVATIFS "

Par ailleurs, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a invité, lundi, les gouvernements des pays d'Extrême-Orient à rendre plus accessibles et abordables les préservatifs alors que le virus du sida effectue une percée inquiétante sur le continent. Des responsables de la santé de huit pays asiatiques prennent part cette semaine à Vientiane à une rencontre sur la prévention du sida dans l'industrie du sexe, responsable d'une partie importante des cas d'infections en Asie.

L'OMS défend un vaste programme de lutte contre le sida dans l'industrie du sexe en Asie baptisé "Préservatif à 100 %", jugeant que la seule parade à la pandémie est la distribution de milliards de préservatifs. "Les préservatifs sauvent des vies. Nous devons sérieusement intensifier la promotion de cet outil salvateur pour prévenir l'infection de millions de personnes," a déclaré à Vientiane, en ouverture de la réunion, le Dr Giovanni Deodato, représentant de l'OMS au Laos. 

"Plus d'un milliard de préservatifs sont nécessaires chaque année dans la seule industrie du sexe en Chine", indique l'OMS, qui part du postulat officiel qu'il existe six millions de prostituées en Chine avec chacune en moyenne 0,5 client par nuit. Le programme est actuellement mis en place dans des "maisons closes" de Chine, Birmanie, Mongolie et Vietnam et vient de débuter aux Philippines et au Laos.

Sept millions de personnes sont actuellement porteuses du virus du sida en Asie orientale, dont un million en Chine. Ce chiffre pourrait atteindre les 40 millions d'ici à 2010 si des politiques de prévention ne sont pas mises en œuvre, plaide l'OMS. 

"TRAVAILLEURS DU SEXE" 

Le programme de l'OMS est cependant critiqué par certaines ONG, qui l'accusent de cantonner le problème du sida au milieu de la prostitution. Mais l'OMS souligne combien un faible nombre de "travailleurs sexuels" peut faire exploser la propagation de la maladie. En Chine, les taux d'infection sont en augmentation et des études gouvernementales démontrent que 26 % des "travailleurs du sexe" n'ont jamais utilisé de préservatif. Au Vietnam, on assiste également à une augmentation des contaminations parmi ces "travailleurs" dans les grandes villes. "Ces augmentations sont un signal d'alarme que l'épidémie risque d'atteindre la population en général", a souligné M. Deodato.

L'usage des préservatifs demeure un sujet tabou dans certains pays d'Asie. Ainsi, les autorités vietnamiennes ont interdit, en julliet 2003 à la radio et à la télévision, de diffuser des publicités sur les préservatifs à l'heure du dîner, plaidant qu'elles ne respectaient pas "la psychologie vietnamienne et les coutumes traditionnelles". Les autorités chinoises n'ont, quant à elles, abordé le thème de la prévention en matière de sexualité que récemment, et une étude japonaise de 2002 montre que moins de 60 % des adolescents japonais utilisent des préservatifs ou d'autres méthodes de contraception. 

En revanche, la Thaïlande et le Cambodge ont réussi à faire reculer l'incidence de VIH en misant notamment sur l'accessibilité des préservatifs. Cette année, le ministère de la santé publique thaïlandais distribuera quelque 26 millions de préservatifs gratuits aux groupes dits vulnérables. Le Cambodge voisin, une autre place forte de la prostitution, en a, de son côté, vendu 20 millions en 2002, soit près de 50 000 par jour. 

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